Il est Molière, elle est Madeleine, ils s’aiment et partagent tout depuis 20 ans ! Et puis il y a Armande, fille de Madeleine, absente sur la scène, mais présente tout au long de cette pièce, représentée par un mannequin, symbole de la jeunesse, de la beauté, de l’inhumanité !
Elle n’a pas la langue dans sa poche, Madeleine Béjart, extraordinaire Anne Bouvier, elle pique, elle lance ses flèches, elle interroge son homme, son compagnon depuis 20 ans que ce soit dans le théâtre comme dans la vie privée. Lui, Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, formidable Christophe Mareuil, il se défile, parle de lui, parle de ses peurs d’auteur, parle de théâtre, riposte aux escarmouches de sa maîtresse ( 20 ans déjà, comme le temps passe… tout passe, tout lasse !), se tait puis parle enfin de ce qu’elle pressent intimement et qui lui fait si peur… il en aime une autre violemment, passionnément qui n’est autre qu’Armande, sa fille à elle, Armande qui a 20 ans de moins que lui, Armande qu’il désire tant qu’il va l’épouser…
Commence alors un duel où se côtoient les crises de jalousie, de désespoir, les déclarations d’amour et les règlement de comptes sur fond de théâtre qui, pour ce couple reste leur plus grande passion !
Nous sommes en 1661 et Molière devient célèbre grâce à ses Précieuses Ridicules.
S’emparant avec dextérité de l’histoire de ce couple mythique, Gérard Savoisien, après sa pièce Prosper & Georges nous entraîne dans une nouvelle pièce historique, nous rendant spectateurs de la rupture à venir de Molière avec Madeleine Béjart, Madeleine sans laquelle il n’aurait jamais fait de théâtre, et pour lequel elle plaça sa fille toute petite au couvent pour ne se consacrer qu’à lui…
Par une mise en scène extrêmement habile d’Arnaud Denis, nous devenons spectateurs de leurs pièces, de leurs échanges sur le théâtre, elle se moquant de lui Molière et de son acceptation de petites bassesses pourvu qu’il puisse monter ses pièces, lui se justifiant avec emportement, elle amoureuse, lui l’aimant amicalement, un couple au bord du précipice qui se débat, lui pour la quitter, elle pour le garder…Dévoilant inexorablement leur vie intime et professionnelle, ces deux personnages hors du commun sont pris dans les les filets d’une histoire terrible et banale à la fois, celle d’un couple devenu trio, celle d’un homme incapable de résister à ses désirs, implacable dans sa lâcheté et obsessionnel dans son amour pour la fille de sa compagne.
Avec une incroyable élégance et une immense virtuosité, Anne Bouvier nous fait éprouver tous les sentiments par lesquels passe Madeleine, trahie doublement… Son humour nous dévaste, sa dignité nous asphyxie, son seul moment de craquage quand ses jambes ne la portent plus et que, telle une poupée à la plaie béante elle s’affale laissant libre cours à son désespoir nous ravage.
Quant à Christophe de Mareuil, entre humour, fougue, passion, plainte, contrition et de brefs moments de lucidité, il nous emmêle dans nos sentiments à son égard, nous faisant passer de l’indignation au rire, de la colère à la compréhension, du rejet à la tendresse.
La mise en scène inventive et émouvante souligne un texte réjouissant porté avec finesse par les deux comédiens et nous spectateurs, nous tombons avec délice sous le charme de ce spectacle.
Un bijou à ne rater sous aucun prétexte !
T. Volia
Mademoiselle Molière, de Gérard Savoisien, M-S Arnaud Denis, Assistante à la M-S Julia Duchaussoy, Décor : Erwan Creff, Lumières Céciles Trelluyer, Réalisation sonore Mehdi Bourayou
Avec Anne Bouvier et Christophe de Mareuil
Théâtre Buffon à 14H50, durée 1H15, du 6 au 29 juillet
18 rue Buffon,
84000 Avignon